Le droit des technologies existe depuis plus d’un siècle, mais il a dû s’ajuster à chaque époque de l’histoire. Jusqu’à l’apparition des technologies de l’information, il n’était pas considéré comme une spécialité à part entière. Mais durant ce dernier quart de siècle, l’accélération des innovations technologiques et la part croissante de leur influence dans notre société ont poussé les juristes à s’y intéresser de plus près. Les nouvelles technologies soulèvent, en effet, de multiples questions juridiques et obligent les juristes à s’adapter en permanence pour ne pas être dépassés.
Droit des technologies en bref
Plusieurs temps forts ont marqué le droit des technologies depuis 30 ans. Il y a tout d’abord eu le premier bébé éprouvette, dans les années 80, un triomphe de la technologie sur la vie qui impliquait toutefois un questionnement crucial sur le droit de la naissance, le droit de la famille… Les innovations permanentes de la génétique et du biomédical suscitent, depuis, de nombreux enjeux juridiques.
Du côté des technologies de l’information, l’avènement d’Internet grand public dans les années 90 a, bien sûr, bouleversé le domaine et entraîné de grands vides juridiques à combler.
Des défis législatifs
Pour un juriste, la rapidité des innovations du domaine est un vrai casse-tête. Pour éviter de se retrouver devancés par les événements, les législateurs doivent veiller à toujours garder une neutralité qui ne se restreint pas à une technologie particulière. Dans le cas contraire, la loi ne s’appliquerait qu’à un seul cas, rapidement dépassé. C’est d’ailleurs ce qui s’est produit au Yukon : un projet de loi a été déposé, mais il était devenu obsolète avant même sa sortie !
Pour répondre à ces enjeux, le droit traditionnel s’adapte peu à peu aux nouveaux usages technologiques. « Certaines lois sont amendées, comme la mise à disposition des preuves provenant de documents électroniques. Mais il faut parfois savoir faire face à un vide juridique », explique Me Sophie Rompré, avocate en droit des technologies.
Dans ces cas-là, les juristes vont rechercher une analogie pour encadrer cette réalité par comparaison. Lors de l’avènement de l’automobile, par exemple, il n’y avait pas de loi spécifique, mais les lois existantes pour le transport à cheval ont été adaptées.
Par ailleurs, la complexité des technologies est un enjeu supplémentaire : les technologies sont d’autant plus difficiles à réglementer lorsqu’elles nous échappent, comme c’est le cas notamment des nanotechnologies. « Personne ne sait encore comment elles vont se déployer. Les nanotechnologies permettent tellement de choses… Quels sont les enjeux et les risques impliqués ? C’est très difficile à anticiper », nous confie Pierre Trudel, professeur à la Faculté de droit de l’Université de Montréal.
Une filière porteuse ?
Selon le professeur Pierre Trudel, « le droit des technologies est une filière porteuse. Ce sont principalement les entreprises innovantes qui recrutent pour produire des outils de prévention de conflits, connaître leurs droits, les brevets, les lois sur les renseignements personnels, les contrats de licence, les problèmes de diffamation, … » Les cabinets, en revanche, sont moins friands pour le moment des experts en droit des technologies.
Beaucoup de start-ups auraient besoin d’un avocat, mais ils sont encore trop jeunes et trop petites pour se le permettre. Après leur premier financement, ils peuvent embaucher un avocat d’entreprise.
Les start-ups font souvent appel aux services de firmes fournissant des conseils aux entreprises émergentes, appelées « boutiques de droit ». Ces entreprises engagent des juristes pour travailler dans des équipes de gestion de projets. Des compétences en droit, dont le droit des nouvelles technologies, sont requises, mais aussi d’autres capacités plus généralistes en affaires.
La filière du droit des nouvelles technologies risque même de manquer de main-d’œuvre… Beaucoup de questions juridiques sont examinées sans que l’on détienne une expertise spécifique en droit des technologies. Or, les étudiants en droit des technologies ne sont pas assez nombreux pour prendre le relai. Ils s’orientent davantage vers des secteurs plus traditionnels. Lorsqu’ils s’imaginent avocats, ils pensent contrat, protection, tribunal…, mais pas encore assez innovation.
Autant dire que si vous souhaitez travailler dans un environnement sans cesse en mouvement, que vous êtes curieux de nature et féru de technique, alors le droit des technologies est fait pour vous !
Les thèmes d’actualité
L’avènement d’Internet, de la technologie numérique, et des réseaux peer to peer (“poste-à-poste”), suscite de nombreuses questions, particulièrement dans le domaine des droits d’auteur. À cet effet, plusieurs se demandent si le monde virtuel doit être réglementé de façon différente du monde physique, ou s’il faut plutôt adapter le droit d’auteur traditionnel aux nouveaux environnements numériques. Or, l’adaptation ne semble pas être facile. Au Canada, la Loi sur le droit d’auteur n’a toujours pas été modifiée par le législateur afin de l’appliquer aux nouveaux environnements numériques, contrairement aux États-Unis ou en Europe.
La question de la légalité du téléchargement de musique à partir des réseaux peer to peer demeure donc très controversée. Or, comme le souligne Me Sophie Rompré, avocate d’entreprise chez Stream The World, « avec la popularité des réseaux peer to peer, les auteurs perdent le contrôle de la distribution de leurs oeuvres. Si on assujettissait les redevances perçues pour la copie privée aux enregistreurs audionumériques, tels que les Ipod, les lecteurs MP3, les clés USB, comme cela se fait en France, cela pourrait contribuer à compenser les pertes subies par les titulaires de droits d’auteur. Néanmoins, la question ne s’arrête pas là. Avec l’évolution rapide des technologies permettant aux titulaires de droits d’auteur de contrôler l’accès et la copie des oeuvres musicales, les intérêts des consommateurs et le droit à la copie privée risquent également d’être brimés. »
D’autres affaires conduisent les législateurs à revoir leurs principes. L’Internet 2.0, notamment, amène à envisager différemment le rôle de l’usager. L’universalité d’Internet entraîne des questionnements pour la traçabilité des personnes, la gouvernance politique ou encore la compatibilité des différentes juridictions nationales.
De même, les nouvelles technologies médicales (prothèses, outils embarqués, génétique, etc.) exigent la création d’un nouveau cadre législatif.
« La proximité avec les États-Unis nous assure d’être confrontés tôt à ces questions, affirme Pierre Trudel. Des propositions contradictoires sont soumises, des débats sont mis en place pour faire évoluer le droit, tout en respectant les lois fondamentales. »